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Blog de la section PS Anzin

"Médiatisé, un conflit social a plus de chances de réussir"

17 Juillet 2009 , Rédigé par Pressoir.josé Publié dans #Information

Un salarié de l'entreprise JLG dépose une bonbonne de gaz devant son usine, jeudi 16 juillet.
AFP/PATRICK BERNARD
Un salarié de l'entreprise JLG dépose une bonbonne de gaz devant son usine, jeudi 16 juillet.


Pour Jean-Michel Denis, maître de conférences en sociologie à l'université de Marne-la-Vallée et coauteur de La lutte continue ? Les conflits du travail dans la France contemporaine, la radicalisation des conflits sociaux s'explique par le besoin de médiatisation.

Après la vague de séquestration au printemps, on assiste actuellement à une vague de chantage à la bonbonne de gaz dans les entreprises menacées de fermeture. Le besoin de médiatisation explique-t-il cette radicalisation apparente des conflits sociaux ?

Il n'y a pas de cause univoque. La crise économique et sociale sans égale, les plans de restructuration qui se multiplient, le peu d'effet des grandes manifestations interprofessionnelles depuis le début de l'année conduisent les salariés à monter d'un cran par des moyens plus spectaculaire. Par ailleurs, les conflits actuels sont avant tout défensifs. Il s'agit de sauver son emploi ou d'obtenir de meilleures indemnités de départ. Pour cela, les salariés, qui n'ont pas grand-chose à perdre, sont prêts à mettre tout leur poids dans la balance.

Mais, en effet, la dimension médiatique des conflits sociaux a énormément progressé avec les manifestations paysannes des années 1970 et 1980, lorsque les agriculteurs déversaient du purin devant les préfectures ou distribuaient des légumes. Les actions de Greenpeace et d'Act Up ont également montré la voie. Aujourd'hui, la médiatisation est devenue un lieu commun dans le répertoire de la contestation.

Il faut toutefois rappeler que la violence dans les entreprises reste pour l'instant symbolique. On est encore loin de ce qu'on a pu connaître dans les années 1970. Mais les images des bonbonnes frappent forcément les esprits. Et le poids du symbolique n'est pas à négliger, il peut être tout aussi important que la violence réelle.

La médiatisation a-t-elle prouvé son efficacité pour satisfaire les revendications ?

Il n'existe pas d'étude historique globale, mais il est sûr qu'un conflit médiatisé a plus de chances de réussir. Derrière les médias, on cherche à convaincre à la fois l'opinion et les pouvoirs publics. Et c'est relativement efficace. Vis-à-vis de l'opinion, il s'agit avant tout d'alerter en disant : "Nous sommes victimes d'un plan social, il peut en être de même pour vous demain."

Pour les pouvoirs publics, les réactions sont souvent immédiates lors de telles actions médiatiques. Le préfet se rend souvent directement sur les sites que les salariés menacent de faire exploser. Par exemple, quand les Nortel ont menacé de faire exploser leur usine, ils ont obtenu rapidement un rendez-vous avec Christian Estrosi, le ministre de l'industrie, en échange du retrait des bonbonnes de gaz. Après, les pouvoirs publics ont un pouvoir limité sur les entreprises privées. Mais ils peuvent parfois chaperonner une reprise des négociations ou faire pression sur les dirigeants.

Mais cette nécessité d'attirer les médias ne risque-t-elle pas d'alimenter la radicalisation ?

En effet, les journalistes ont horreur du banal. Les salariés ont donc intérêt à sortir de l'ordinaire soit en terme de légitimité de leur lutte, soit en terme de moyen d'action. C'est un phénomène relativement classique. Les manifestants cherchent ce qui va attirer les médias, en se référant notamment aux conflits précédents. En 1986, lors du conflit Devaquet (le ministre de l'éducation Alain Devaquet souhaitait instaurer une sélection des étudiants à l'entrée des universités), il y avait ainsi des commissions médias qui étaient chargées de trouver les manifestations les plus spectaculaires pour attirer les médias.

Ce n'est pas le seul élément qui pourrait favoriser une radicalisation. Face au manque d'avancée après les grandes mobilisations interprofessionnelles, les confédérations syndicales ont dit que la lutte se poursuivrait au niveau local, pour éviter d'appeler à la grève générale. Mais les syndicats risquent d'être pris à leur propre piège, parce que les déclinaisons locales peuvent prendre des tournures beaucoup plus dures que prévues.

Les médias exagèrent-ils la radicalisation actuelle des conflits sociaux ?

Pas totalement. Les séquestrations et les menaces d'explosion sont des phénomènes que nous n'avons pas vus depuis longtemps. Il y a aussi une impuissance des partenaires sociaux à offrir des débouchés positifs à ces salariés, ce qui conduit à une réelle radicalisation. Cela dit, historiquement, le mouvement ouvrier est plein de conflits avec violence ou séquestration. Et quand des paysans ou des marins-pêcheurs manifestent, la violence est souvent beaucoup plus forte que les menaces symboliques qui font la "une" ces jours-ci.

Jugez-vous univoque la couverture médiatique des conflits sociaux dans les entreprises ?

Non, il y a de grandes différences, par exemple entre la presse nationale et la presse régionale. Lors d'une fermeture de site, les journaux régionaux sont souvent mieux informés et traitent l'information en étant beaucoup plus proches des salariés et empathiques que les journalistes de la presse nationale. Lorsqu'une entreprise ferme, les répercussion se font sentir sur l'ensemble d'un bassin d'emploi, et les journalistes de la presse régionale vont rendre compte de ces répercussions plus générales. Ils connaissent aussi les acteurs de façon plus durable, parce qu'ils les ont souvent déjà rencontrés.

Pourquoi n'assiste-t-on pas à la même multiplication d'actions radicales médiatiques dans les autres pays européens, pourtant tout autant touchés par la crise ?

Il reste la spécificité, ancienne, de la grève sauvage française qui s'effectue de façon "asyndicale". D'autre part, le syndicalisme français est historiquement beaucoup plus contestataire. Par ailleurs, les dispositions réglementaires encadrant les conflits collectifs sont souvent beaucoup plus restrictives à l'étranger. Mais là aussi, il faut relativiser : à l'étranger, il existe également de nombreuses actions dures.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Chastand
LE MONDE
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