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Blog de la section PS Anzin

Assurances: femmes au volant, big brother au tournant

30 Mars 2011 , Rédigé par José Pressoir Publié dans #Economie

Assurances: femmes au volant, big brother au tournant

 La Cour de justice européenne a jugé que les assureurs ne pouvaient déterminer les primes en fonction du sexe de l'assuré.

Ceux-ci inventent de nouvelles façons de les calculer.>>

 

 

 

 

Screenshot - 27_03_2011 , 18_03_21

 

 

Pendant la seconde moitié du XXème siècle, le machisme ordinaire voulait que les femmes ne pouvaient pas totalement appréhender les difficultés de la conduite automobile, leur cerveau étant visiblement déficient pour cette tâche. D'où le légendaire "Femme au volant, mort au tournant" qui continue de faire les beaux jours de la beaufitude ordinaire. Et puis, les femmes se sont mises à être draguées par les compagnies d'assurances auto qui leur ont fait de meilleurs tarifs qu'aux hommes. Panique chez les mysogines: sont-elles plus aptes à manier le changement de vitesse? Conclusion un peu hâtive, nous le verrons. Mais tout cela aura bientôt une fin. En effet, boomerang de la conquête féministe, la cour européenne de justice estime qu'il s'agit d'une atroce discrimination envers les mâles qui doit cesser sous peu. Revanche masculine et hausse en perspective pour la gent féminine sur les assurances autos (+25% en moyenne d'ici 2 ans). Tout cela peut paraître anecdotique mais il s'agit pourtant d'une décision importante car elle remet en cause une partie des fondements du métier d'assureur qui est, justement, de discriminer. Surtout, on peut s'inquiéter d'une dérive à terme: si les assureurs seront moins discriminants sur le "qui je suis", ils risquent de l'être beaucoup plus sur le "comment je vis". Un monde à la Big Brother avec les assureurs derrière la caméra...

Les faits

Une directive de la Commission Européenne du 13 décembre 2004 établit que l'égalité hommes/femmes doit être respectée pour l'accès aux biens et aux services. Une règle très générale qui paraît être de bon sens qui veut que le genre ne puisse pas être à la base d'une différence de traitement, notamment tarifaire. Mais voilà, quand on rentre dans des exemples précis, les problèmes apparaissent. C'est le cas pour les assurances qui bénéficiaient d'une dérogation à cette directive à condition de prouver (stats à l'appui) que l'évaluation des risques comparés hommes/femmes était suffisamment différente pour justifier une différence de prix. Patatras, saisie par une association belge (à dominante masculine?), la Cour de justice de l'Union européenne a estimé que cette dérogation ne pouvait plus perdurer. Cela touche les assurances auto où la différence de tarif est la plus visible et la plus élevée (jusqu'à 50% de "surprime" pour les jeunes conducteurs mâles comparativement à leurs homologues féminines du même âge), mais aussi tous les autres types d'assurance: retraite, maladie, vie.

Tout cela pourrait paraître assez anecdotique. Bien sûr, les femmes risquent de voir leurs primes d'assurance augmenter en moyenne de 25% et même de plus de 40% pour les femmes jeunes, selon Fitch. Qui ne précise pas par ailleurs si les primes des hommes vont baisser (ce qui serait logique, l'opération devant théoriquement être neutre pour les assureurs — à surveiller!). Mais d'autres questions plus sensibles pointent: ainsi, les "risques" liés à la maternité ou encore les différences d'espérance de vie entre hommes et femmes ne sont plus censés être pris en compte (pour les contrats santé ou décès notamment).

Les femmes sont-elles réellement meilleures conductrices ?

Je ne peux m'empêcher de faire un détour par la question, oh combien polémique, qui consiste à se demander si les femmes sont réellement plus prudentes que les hommes. Cet article du Figaro répond par l'affirmative en s'appuyant sur le site de la sécurité routière : «Les femmes ont environ trois fois moins de risques d'être tuées et deux fois moins d'être blessées dans un accident de la route que les hommes». J'ai bien cherché et je n'ai pas trouvé cette phrase sur le site. J'ai par contre parcouru avec attention les rapports complets sur l'accidentologie donnés par le site. Allons fouiller les chiffres et regardons le nombre de tués ou blessés par classe d'âge et leur répartition homme/femme:

Screenshot - 26_03_2011 , 17_33_32Source : données 2006 de la Sécurité Routière

On arrive pour les femmes à 33% de chance de moins d'être tuées ou blessées que les hommes, ce qui est quand même nettement inférieur aux 50% donnés par le Figaro (2x moins). Pour les tués, le rapport est effectivement de 1 sur 3 (les femmes représentent environ 30% des tuées). Notons par contre que ce rapport évolue au cours de la vie : plus l'âge avance, plus la différence s'estompe entre hommes et femmes.

Est-ce que cela nous suffit pour dire que les femmes sont plus prudentes, meilleures conductrices ou moins "accidentogènes"? Non. Il faudrait pour cela pondérer par plusieurs facteurs. Le plus important est le kilométrage parcouru. La sécurité routière a par exemple établi qu'il y a en moyenne 13 accidents corporels par milliard de kilomètres parcourus sur autoroute contre... 93 sur une route nationale (et 1.8 tués/milliards de kilomètres contre 8.7 sur une nationale). Ainsi, il faudrait établir le risque pour les femmes en regard du kilométrage parcouru et du type de routes emprunté: un conducteur roulant 70.000 km par an essentiellement sur nationales a forcément plus de chances d'être accidenté qu'un conducteur effectuant 10.000 km par an en ville et sur autoroutes. Il faudrait aussi considérer la place de la victime dans l'accident: conducteur ou passager? 11.900 femmes sont blessées par an au volant mais également 7.800 en tant que passagères. Le problème, c'est que la sécurité routière ne fait pas ce calcul: on dispose des risques comparés selon les types de véhicules par exemple (un motard se tue beaucoup plus qu'un conducteur de véhicule léger par kilomètre parcouru, lui-même se tuant plus qu'un chauffeur de poids lourds) mais il n'existe pas de statistiques fouillées sur le risque comparé entre hommes et femmes. Difficile, donc, de trancher le débat d'autant plus que l'on peut imaginer que les habitudes de conduite (kilométrage, réseaux, ...) ne sont pas les mêmes selon le sexe.

Et pourtant, les assurances semblent avoir résolu la question puisqu'elle offrent de meilleurs tarifs aux femmes à véhicule égal. Mais c'est qu'elles ne cherchent pas la même chose. Tout d'abord, une assurance ne cherche pas à comptabiliser les blessés ou les tués mais l'impact financier qui peut aussi bien résulter d'un accident corporel que matériel, d'un bris de glace, d'un vol ou de vandalisme. Ensuite, tout le métier d'assureur réside dans le calcul actuariel. Celui-ci s'apparente à ce qui peut se pratiquer pour un organisme comme la sécurité routière: il s'agit, à partir des statistiques et de modèles mathématiques, de définir quel est le risque financier en fonction de paramètres donnés. C'est ce calcul actuariel qui va déterminer votre prime d'assurance, ceci valant aussi bien pour une assurance auto que pour une assurance santé. Dans le cas de l'automobile, la différence entre un assureur et la sécurité routière, c'est que le premier fait le calcul a priori (la sécurité routière effectue le calcul a posteriori) et ne dispose que d'un nombre d'élément limité: type de véhicule, lieu de résidence, sexe, âge. Elle doit donc composer avec ce faible nombre de paramètres. Ainsi, le lieu de résidence va faire grimper ou baisser la prime selon le taux de vols ou vandalisme dans le département ou encore le taux d'accident dans celui-ci. De même, le véhicule a une incidence très forte dans le calcul de la prime en raison de sa valeur (un véhicule plus cher va entraîner des remboursements plus élevés) mais aussi des statistiques qui y sont liées (par exemple le palmarès des véhicules les plus volés en France). Mais le nombre de kilomètres parcouru par an, dont on a vu qu'il est un élément essentiel pour déterminer le facteur de risque réel, n'est pas traditionnellemnt pris en compte par les assurances, tout simplement parce qu'il n'est pas accessible de façon fiable par les assurances. Mais cela change: des assurances avec un "forfait kilomètres" sont proposées depuis quelques années pour offrir des primes plus basses aux conducteurs qui n'utilisent que faiblement leur voiture: le relevé de kilomètres est effectué annuellement chez un garagiste partenaire. Et un nouveau modèle low-cost se développe aussi: l'assurance "au kilomètre" encore appelé Pay As You Drive (PAYD). Cette fois, un dispositif (GPS ou simialire) est implanté dans le véhicule et transmet l'information à l'assureur. Mais les assureurs veulent aller plus loin: à l'étranger, des assureurs proposent des réductions en échange de la pose d'une "boîte noire" dans votre véhicule. Cette fois, l'assureur a la possibilité de connaître votre kilométrage mais aussi si vous respectez les limitations de vitesse ou encore votre style de conduite (sportif, cool) et d'adapter son tarif en fonction.

Big Brother is insuring you

On voit donc que les grilles tarifaires des assurances auto vont évoluer dans un délai de deux ans, et de nouveaux types d'offres vont également apparaître ou se généraliser dans les années à venir. Plus globalement, cela pourrait être l'amorce d'un changement profond au sein de l'assurance. En effet, tout le métier de l'assurance repose sur le fait d'établir une grille de risque (c'est "l'actuaire") en fonction de l'assuré. Ce qui établit des discriminations de fait entre des groupes de population: les hommes et les femmes n'ont pas nécessairement les mêmes risques, de même que les jeunes et les vieux ou même selon l'ethnie (maladies touchant de façon différente les groupes ethniques en raison du patrimoine génétique différent). On peut imaginer que la décision qui a été prise par la Cour de justice européenne pour la non-discrimination hommes/femmes puisse s'étendre à d'autres facteurs, comme l'âge ou les conditions de santé d'un individu au moment où il souscrit le contrat (obésité, facteurs génétiques, ...).

La première réaction est plutôt positive: le fait que les discriminations hommes/femmes soient abolies ou encore que quelqu'un qui est affecté d'une maladie génétique ne soit pas frappé d'une "double peine" en payant son assurance-décès sur son prêt immobilier à des prix insoutenables semble être un vrai progrès. Mais cela veut aussi dire que le métier d'assureur devra forcément changer, ce qui n'est pas neutre dans une société de plus en plus assurée elle-même. L'interdiction progressive de la discrimination va réduire les facteurs utilisables pour les actuaires comme peau de chagrin. En clair, la pente suivie incline à penser que les assureurs pourront de moins en moins prendre en compte le "qui suis-je ?". 

La première solution serait de mutualiser les risques entre assurés et de proposer un tarif unique. En pratique, cela est impossible: pour la santé, si la clientèle d'un assureur est jeune, il aura systématiquement un tarif meilleur qu'une autre assurance qui aura une clientèle plus vieille. Ce serait donc une course pour gagner des parts de marché sur les "meilleurs assurés" et décourager les autres. L'autre solution qui sera certainement celle vers laquelle nous irons est que les assureurs vont substituer le "qui suis-je ?" par le "que fais-je ?" qui ne présente pas de nature discriminatoire. On a vu que cette inclinaison commençait à émerger dans l'automobile où la pose d'une boîte noire permet à mon assureur de ne plus seulement me faire payer en fonction des statistiques mais aussi de mon comportement réel (vitesse, conduite, ...).

Imaginons maintenant les conséquences sur les assurances décès ou santé. L'assureur ne pourra plus me discriminer en fonction des conditions initiales (âge, sexe, antécédents familiaux, ...) mais rien ne l'empêchera de modifier mon tarif en fonction de mon comportement, par exemple en me demandant de doser mes gamma GT chaque année pour vérifier si je ne suis pas trop porté sur la bouteille ou les plats en sauce. Et, avec les progrès technologiques, combien de temps avant que des assurances proposent le port d'une boîte noire médicale qui mesurerait mes paramètres (sanguins, cardiaques, ...) et les transmettrait à l'assureur en échange de tarifs avantageux? Vous faites du sport régulièrement? -10% l'an prochain. Vous prenez l'apéro un peu trop régulièrement? +10% l'an prochain. On dériverait ainsi vers une société où les normes de comportement seraient encadrées par les assureurs. Avec à la clef une réduction des libertés individuelles... sauf si on a les moyens de payer des assurances élevées.

Personnellement, l'évocation de ce dérivé moderne de Big Brother me fait froid dans le dos: je préfère être discrimé sur mon assurance auto en ma qualité de mâle et continuer à payer 20% de plus que les femmes!

Crédit photo : abracapocus_pocuscadabra sur Flickr

Liberation.fr
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