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Blog de la section PS Anzin

Ils ont trouvé les causes de l'échec scolaire : les notes !

22 Novembre 2010 , Rédigé par José Pressoir Publié dans #Information

Ils ont trouvé les causes de l'échec scolaire : les notes !

Eric Conan - Marianne |


Idéologues jusqu'au boutistes, les enragés du pédagogisme veulent désormais supprimer la notation à l'école primaire. Mais loin de servir ceux qu'elle prétend aider, cette réforme favoriserait avant tout les enfants des classes aisées.



On le sait, il n’y a rien de plus puissant et aveugle que l’idéologie, machine imaginaire à oublier et violenter la réalité. La passion idéologique ne connaît que la marche avant. Il fut un temps où les communistes les plus forcenés expliquaient qu’il fallait encore plus de communisme pour dépasser les échecs du communisme. Ils l’ont répété jusqu’à la chute finale. Dans d’autres domaines, les néo-libéraux nous disent qu’il faut remédier aux dégâts du capitalisme financier et de la mondialisation sauvage par encore plus de dérégulation. Et les européistes les plus aveugles répètent de même que les impasses d’une construction européenne conçue dans le dos des peuples seront dépassées par un peu plus de technocratie sans débat.

En matière d’école, les enragés du pédagogisme pratiquent le même autisme. Le désastre scolaire provoqué par trente ans de réformes qui ont obéi à leurs lubies n’est plus contesté ; il est admis, mesuré, évalué. Il laisse impuissants les pouvoirs publics et malheureux les enseignants qui sont de plus en plus nombreux à en faire en première ligne le douloureux bilan. Eh bien cela n’empêche pas un dernier quarteron de possédés de la table rase de remonter au créneau avec une pétition pour la suppression des notes ! Une dizaine de signataires - parmi lesquels Richard Descoings, François Dubet, Michel Rocard, Eric Debarbieux, (responsable de l’Observatoire international de la violence à l’Ecole, violence qui, on le sait, vient surtout du système de notation !) et Daniel Pennac (dont l’éloge des cancres a ravi les beaux quartiers) – reprennent des slogans que l’on pensait définitivement disqualifiés, tels que « l’obsession du classement stigmatise des élèves qu’il enferme dans une spirale d’échec ».
Pour les pétitionnaires, si « quatre écoliers sur dix sortent du CM2 avec de graves lacunes » (à la bonne heure ! c’est là un inquiétant constat que les mêmes signataires niaient, il y a encore quelques années…), c’est à cause de la « pression scolaire précoce » d’un « système élitiste » de notation qui provoque « fissuration de l’estime de soi, détérioration des relations familiales, souffrance scolaire ». Leur conclusion ? « Devant l’urgence d’apporter des réponses concrètes à la souffrance scolaire, nous devons franchir un palier supplémentaire », estiment les signataires qui réclament la suppression de « la notation à l’école élémentaire qui doit être l’école de la coopération et non de la compétition ».

L’objectif de cette fuite en avant idéologique est toujours le même : effacer la mesure des dégâts que l’on a favorisés contre la volonté des usagers (élèves, parents) et même des praticiens que sont les enseignants, attachés à ce système d’évaluation par la notation. Dans les années 70 une première offensive les avait obligés à remplacer les notes par un système de cinq niveaux (A,B,C,D,E) qu’ils avaient vite rebricolé en un système à 15 niveaux avec des A+ et des A- ….

Dans le passé, comme aujourd’hui, ce qui frappe et trouble le plus dans ces passions idéologiques, c’est leur déni de la réalité. Non seulement les systèmes de notes  satisfait majoritairement ceux qui les donnent et ceux qui les reçoivent, mais l’on sait depuis longtemps qu’ils constituent l’un des outils de l’ancien élitisme républicain aujourd’hui sinistré au détriment des catégories populaires. Le grand sociologue de l’éducation Mohammed Cherkaoui a montré, au terme de convaincantes études internationales, que « la rigueur de la sélection scolaire bénéficie paradoxalement aux élèves issus de milieux modestes » (Les Paradoxes de la réussite scolaire, PUF). Les notes constituent des repères objectifs dans des milieux qui en sont parfois démunis et leur permettent de s’évaluer et de progresser.
 
Il y a trente ans, dans son ouvrage sur les inégalités sociales à l’école (L’Inégalité des chances, Hachette Pluriel), Raymond Boudon, l’un des maîtres de la sociologie appliquée aux faits (et non aux intentions), avait prévu que le « collège unique » accroîtrait l’inégalité des chances et estimait qu’un renforcement des sanctions positives ou négatives (système de notation, récompenses, punitions, concours) aurait plus d’effet positif sur la réduction des inégalités que leur suppression. Ses analyses n’ont eu guère d’écho, puisque les réformes ont emprunté le chemin inverse de celui qu’il préconisait. La division par trois de la proportion d’élèves d’origine populaire dans les grandes écoles lui a donné raison. Mais certains continuent dans la même voie en proposant de mettre fin au cours de rattrapages (pour ne pas « stigmatiser » les élèves en difficulté), aux concours des grandes écoles, aux classes préparatoires et maintenant aux notes. Ce ne sont pas les concours qui posent problème mais le délabrement du primaire et du secondaire. Or certains veulent aussi s’attaquer aux concours alors qu’une récente étude vient de confirmer que le système des classes préparatoires parvient à rattraper la moitié du retard que le système primaire et secondaire a fait perdre aux élèves boursiers des milieux défavorisés. Car ceux qui ont le plus pâti du collège unique sont les élèves brillants d’origine modeste. Cherchez l’erreur. Ou peut-être ne s’agit-il plus d’une erreur ?
 
Pourquoi, en effet, certains continuent - avec la même assurance qu’une troupe de Komsomols dans la plaine de Sibérie - à défendre un programme de réforme qui bloque l’ascenseur social ? Selon Raymond Boudon, il y a toujours une explication au fait que « des idées fausses ou mal fondées s’installent aussi facilement » : « une théorie peut être « utile » sans être vraie ; or, dès qu’elle rencontre les intérêts de certains acteurs sociaux, ceux-ci se demandent d’abord si elle est « utile », ensuite seulement si elle est vraie ». Et « l’utilité » relative des réformes pédagogistes n’est pas équivalente pour tous les acteurs sociaux : depuis trente ans, la destruction de l’école républicaine a permis aux enfants de la bourgeoisie et des enseignants de gagner des places au détriment de ceux des catégories populaires et en particulier ceux d’origine immigrée (quand l’école républicaine des boursiers fonctionnait mieux, dans les années trente, des générations d’enfants d’immigrés polonais, arméniens, juifs d’Europe centrale ont réussi à devenir médecins, scientifiques, ingénieurs).

Où l’on comprend que la nostalgie coupable du peuple pour l’école à l’ancienne (sa discipline, ses dictées, son « par cœur », ses concours anonymes, …ses notes), dont il n’a jamais souhaité ni accepté la liquidation, est conforme à ses intérêts…
Marianne2 
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