Martine Aubry, reine des funambules
Martine Aubry, reine des funambules
Gérald Andrieu - Marianne | Mercredi 28 Avril 2010
Le «parlement» du Parti socialiste débattait, hier, du texte qui servira de base à l’élaboration du programme de son candidat en 2012. Un texte qui ne s’avance
pas trop, pour ne surtout froisser personne…
«Il vous salue ce grand cadavre à la renverse » ! La salle sort quelques secondes de sa torpeur et applaudit. A la
tribune, Martine Aubry sourit. Elle n’est pas peu fière, la Première secrétaire, de sa formule adressée à tous ceux, en général, et à Bernard-Henri Lévy, en particulier, qui
il y a encore quelques mois prophétisaient la mort du PS. Non, le Parti socialiste sous l’ère Aubry est bel et bien vivant et, qu’on se le dise, il a même des idées ! Des idées qui sont
censées montrer que les socialistes ont enfin tiré, dit-elle, « les leçons de la gauche au pouvoir ». Des idées qui serviront à « réarmer le PS » et
« la gauche » dans son ensemble. Des idées qui ne serviront pas simplement à « gouverner la France » mais à la « transformer » ! Rien
de moins !
C’est en tout cas le message que voulait faire passer la Dame de Lille alors que le Conseil national du parti était réuni, hier, à la Mutualité pour se pencher sur un
texte chargé de décrire les grandes lignes du « nouveau modèle économique, social et écologique » que veulent les socialistes. Un document porté par Pierre
Moscovici et qui, à terme, doit servir de base à l’élaboration du programme de son candidat en 2012. Vingt-sept pages qui, surtout,— et c’en est presque incongru au Parti socialiste —
parviennent à satisfaire tout le monde. Ou, du moins, ne déplaisent pas au point de faire exploser les fragiles « équilibres » retrouvés. C’est de cette manière-là que
Malek Boutih analyse le texte qui sera soumis au vote des militants courant mai.
Notre homme a beau avoir l’habitude de se montrer dur (trop, diront certains) avec sa formation politique, il connaît par cœur la machine solférienne et sait en décrypter le moindre
soubresaut, le plus petit revirement : « Ce texte n’a qu’un objectif : préserver les équilibres. Il a surtout une vocation interne. Il n’a en fait aucune valeur
programmatique. Sur Internet, on trouve des idées aussi intelligentes que dans ce texte. » Et d’illustrer son propos : « Au vu de la situation économique et
sociale, qui avait intérêt à amender le texte ? La gauche du parti. Mais elle ne l’a pas fait. Elle s’est dissoute dans la majorité… »
La « gauche du parti », elle, préfère expliquer qu’elle a obtenu satisfaction sur de nombreux points. Quela notion de « care » et de « société du bien-être » chère à Martine Aubry et qui pullulait
dans la toute première mouture du texte en a été largement expurgée… Ce qui, pour le coup, n’est pas totalement vrai. La « société du bien-être » que théorise
depuis quelque temps la Première secrétaire et qu’elle oppose à la « société fondée sur le tout avoir » est encore largement présente. Tandis que le
mot« nationalisation », lui, n’apparaît qu’une seule fois. Et le mot « ouvrier » n’y a tout simplement pas sa place. Quant au Traité de
Lisbonne, il n’y est pas formellement évoqué. Mais il y en a, tout de même, pour tout le monde dans ce texte. Chacun y trouvera son intérêt. De Strauss-Kahn à Hamon. Au nom de la
sacro-sainte préservation des « équilibres »…
Il suffit pourtant de tendre l’oreille pour entendre monter des critiques. Dans chaque courant. Dans chaque chapelle. « Ce n’est pas une synthèse, c’est le règne du consensus
le plus mou », se moque par exemple… un partisan de Bertrand Delanoë ! C'est dire... « C’est un texte brouillon, confiait il y a quelques jours, de façon
moins étonnante, Manuel Valls, Parfois trop large. Parfois trop précis. Très franco-français. Un patchwork de positions. Il y a beaucoup de protectionnisme sans
le dire. De toute évidence, nous avons encore du travail devant nous ». D’ailleurs, le député-maire d’Evry s’est associé à François Rebsamen pour apporter une « contribution au débat », mais sans vote (il ne faut quand même pas bousculer
les « équilibres »…). À la tribune, le maire de Dijon s’est inquiété des « mesures protectionnistes » avancées dans le texte (qui se
retrouvent évoquées sous le vocable moins anxiogène de « juste échange ») et du trop grand « retour », selon lui, de la notion
d’« Etat providence ». Henri Emmanuelli le
renverra dans ses cordes quelques minutes plus tard. Gentiment. Poliment. Les fameux« équilibres »…
Alors, bien sûr, il y en aura pour se satisfaire de voir le PS réussir à ne pas s’étriper en place publique. Cela peut donner en effet le sentiment que le Parti socialiste n’est
effectivement pas un « cadavre à la renverse ». Mieux : qu’il est revenu à la vie. Mais en jouant les funambules (comme l’a fait François Hollande en son temps
et avec le résultat que l'on connaît), Martine Aubry parviendra-t-elle à convaincre les Français que le PS est une formation politique aux idées véritablement vivifiantes ?
Le JDD.fr
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