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Blog de la section PS Anzin

Point de vue

1 Mai 2010 , Rédigé par José Pressoir Publié dans #Information

Nous avons assisté, la semaine dernière, à un échange court mais lourd de sens. Alors que Benoît Hamon expliquait qu’il ne fallait pas, selon lui, que le candidat socialiste à la présidentielle de 2012 ait le profil d’un Papandreou (l’actuel premier ministre grec, issu des rangs du PASOK, qui applique une cure d’austérité à son pays conformément aux attentes des institutions économiques internationales), Jean-Christophe Cambadélis a rapidement riposté sur son blog, parlant de « faute politique ». Non, on n’aurait pas le droit d’accuser Papandreou de « restaurer l’ordre ancien », selon Jean-Christophe, car l’ordre ancien, en Grèce, ce serait la dictature des colonels ; oui, ce serait tout à « l’honneur » des socialistes de « redresser leur pays », fut-ce en respectant les canons de l’orthodoxie libérale internationale. Étrange conception de l’histoire, qui ne conçoit « d’ordre » que celui de la dictature, et fait l’impasse sur les 20 dernières années d’hégémonie intellectuelle de la droite démocratique !

Cette montée au filet rapide n’a rien d’un hasard, pas plus que la sortie préalable du porte-parole du PS n’est anecdotique. Et il est important de voir, derrière les petites phrases, le débat de fond qui a soudainement émergé.

2008 a été un cataclysme financier, économique, mais également un cataclysme idéologique. Par l’absurde, par avec des dégâts humains et sociaux terribles, a été démontré ce que beaucoup prêchaient (dans le désert) jusque là : le caractère profondément vicié de la mondialisation ultralibérale de ces 20 voire 30 dernières années. Une mondialisation caractérisée notamment par une « émancipation » de la finance, avec des banques ne faisant plus correctement leur métier de soutien de la croissance, et par une détérioration du rapport entre capital et travail. Détérioration s’accompagnant d’une déconnexion croissante du revenu et du salaire, se traduisant, pour les classes supérieures, par l’explosion des bonus et autres stock options, et dans les catégories les plus défavorisées, par un fort développement des revenus compensatoires (RSA, etc.), sans augmentations de salaire.

La crise a balayé ces certitudes, et battu en brèche les lois d’airain que l’on nous rabâchait jusqu’alors. Elle aurait donc dû ouvrir un boulevard à la gauche, et notamment à ceux à gauche qui dénonçaient cela depuis des années. Mais il n’en a rien été. Empêtrée dans des contradictions internes, morcelée dans des considérations nationales (il n’y a plus d’Internationale Socialiste digne de nom), la gauche est restée immobile, comme paralysée par l’ampleur de l’opportunité. Elle a perdu l’initiative et laissé la droite (qui n’a – naturellement – pas tergiversé devant l’occasion de reprendre la main) camoufler ses responsabilités dans la crise en entonnant le chant consensuel de la « moralisation du capitalisme ».

Oui, la gauche européenne est pour l’instant en difficulté. Elle n’a pas su réclamer que les banques, sauvées de leur propre incurie par l’argent du contribuable, soient nationalisées. Nous avons perdu le premier round. Mais la bataille n’est pas finie. On voit bien que la colère mondiale et nationale n’est pas encore retombée contre ce système absurde, qui ne trouve rien de mieux que reprendre à pas de loup son fonctionnement antérieur, maintenant que le vent du boulet est retombé. Il y aura d’autres rounds – à commencer, en France, par l’élection présidentielle de 2012. Allons-nous enfin les assumer en tant que tels ?

Même s’ils s’en défendent, beaucoup pensent tout bas, en regardant l’effondrement de la côte de popularité de Nicolas Sarkozy, que ce sera une élection facile, et que la seule question qui se pose vraiment est celle du nom du candidat qui aura l’honneur d’aller battre le président déchu. Il n’y a pas de pire poison pour la gauche, car cette certitude nous éloigne des efforts nécessaires à la reprise du combat – qui en réalité n’a pas encore vraiment commencé – pour un autre modèle de développement et de mondialisation. Elle nous pousse à choisir la pente douce et confortable de l’alternance automatique. Le pire, si l’on peut dire, est que cette stratégie peut, électoralement parlant, fonctionner. Il se peut même, parlons franchement, que les milieux économiques qui bénéficient le plus de l’actuel système décident discrètement de soutenir notre camp politique. Car où se situerait leur avantage, pour préserver leurs acquis – dans une droite dévitalisée et impopulaire, ou dans une gauche-infirmière, réformant à la marge pour prendre soin des exclus et des victimes du système, faisant les gros yeux tout en réparant les dégâts de la crise pour en revenir, au bout du compte, au statu quo ante ? Une gauche qui « moralise » le capitalisme, c’est à dire qui édicte des règles de bonne conduite qui seront déjouées et contournées, n’en doutons pas, en quelques mois ? Une gauche capable de faire passer, avec le sourire, des réformes qui, entre les mains de la droite, mettraient la population dans la rue ?

Il n’y aurait pire cadeau empoisonné que de se retrouver face à cette alternative : soit une droite Sarkozy, soit une gauche d’alternance, qui ferait le « sale boulot » comme nombre de social-démocrates en Europe actuellement. Une gauche … Papandreou. Qui marginalise et étouffe la possibilité d’une vraie gauche d’alternative, celle-là même qui représenterait un vrai danger pour le système à bout de souffle.

Cela nous renvoie à nos propres responsabilités. Et je voudrais ici tout particulièrement m’adresser à ceux de mes camarades socialistes qui, au cours des dernières années, ont défendu la priorité du combat social au sein de notre parti. Et qui aujourd’hui s’inquiètent d’une possible « papandreouisation » de notre famille politique à l’approche de la présidentielle.

Dans les mois décisifs qui s’annoncent, à travers les conventions relatives à notre projet et les futures primaires, quelle sera leur attitude ? Se disperser dans des tactiques à courte vue ? Rejoindre une autre ligne politique au sein du parti, plus « centriste », dans l’espoir de peser dessus et de la gauchir quelque peu ? Fabriquer une candidature de témoignage, pour se compter sans se mettre en danger ? Ou au contraire, vont-ils, à chaque étape, exiger un débat de clarification sur la stratégie de rupture à adopter face à la crise ? Vont-ils exiger que les socialistes se prononcent sur cette question très simple : voulons-nous, oui ou non, (re)devenir les inventeurs du possible, construire un nouveau socle idéologique, et pas seulement nous mettre sous l’arbre et attendre que le fruit de la présidentielle nous tombe dans les mains ?

L’année qui vient peut être une longue succession d’affrontements de tranchée et de débats tactiques, comme le PS l’a fait trop souvent ces dernières années, et en particulier à son dernier congrès. Ou alors, ceux qui se revendiquent de son aile gauche peuvent peser pour en faire un vrai moment de réorientation. Les primaires qui couronneront cette période prendraient alors une tout autre coloration, et pourraient constituer un grand moment de mobilisation populaire en faveur d’un changement complet de paradigme économique et social.

Le premier test de cette volonté sera sur les retraites. Alors que les syndicats semblent hésiter, et que l’opinion publique, elle, est clairement opposée à toute modification de l’âge légal de départ en retraite, le PS a toute latitude pour être ferme sur le sujet. D’autres questions suivront. Celle de la révolution fiscale. Celle de la politique salariale. Celle des modalités du libre échange. Celle du rôle et de l’orientation de l’Internationale Socialiste, et de la sociale-démocratie européennes, toutes deux fantomatiques.

Julien Dray

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