Sarkozy a-t-il déjà perdu?
Sarkozy a-t-il déjà perdu?
23 janvier 2012 | Par Marine Turchi - Mediapart.fr
Dans l'état actuel du pays, Sarkozy n'a-t-il pas déjà perdu ? A droite, certains avaient déjà
posé la question de sa candidature à l'automne, ponctuant, comme Alain Juppé ou
Jean-Pierre Raffarin, leur propos de
«s'il est candidat».Désormais, d'autres font part de leur
inquiétude, jusqu'ici exprimée en privé. Le collaborateur d'un ministre, dans
Le Figaro :«On
commence à se dire qu'on peut vraiment perdre.»
Un ministre, dans le Journal du Dimanche:
«S’il ne remonte pas dans les quinze jours, c’est fini.»
Un ami du chef de l'Etat :«J’ai vu pour
la première fois une lueur d’inquiétude dans ses yeux.»
Elus et militants, eux, ont du mal à y
croire depuis la rentrée de septembre (lire notre série de reportages).
Jusqu'à présent, les médias prenaient des pincettes pour le dire (lire la chronique de Daniel
Schneidermann). Mais ce lundi, on commence à lire ici et là, sous la plume de ceux qui
encensaient encore il y a peu le président, que la droite est déboussolée. Combien de fois
Jean-François Copé a-t-il annoncé
«une nouvelle phase», «le signal de la reconquête»,«le
temps des explications»
, «bilan contre bilan», «projet contre projet»(lire nos articles ici et là)
? Combien de fois l'Elysée a-t-il promis une
«accélération», une «semaine cruciale»avant la
«campagne éclair»
et la stratégie dite de la «cible mouvante» ? A force d'annoncer«le
moment venu»
, celui-ci ne vient pas.
L’UMP a beau mobiliser ses deux
«cellules ripostes», dégainer des communiqués par lots de
dix à chaque annonce de François Hollande, diffuser le
«vrai programme»du PS pendant
son discours du Bourget, faire le tour des médias pour dénoncer, tour à tour,
«le candidat
mou»
, celui «du système», celui «des années 1970-80»: rien n'y fait.
Pendant la primaire socialiste, le parti
présidentiel était inaudible. Après le discours
du Bourget, il est carrément plombé. Le
meeting du 22 janvier marque un tournant
dans la campagne (lire notre reportage).
Comme celui de Nicolas Sarkozy, le 14 janvier
2007, fut un coup de massue pour les
socialistes. A l'époque, le candidat UMP avait
balayé Ségolène Royal avec un show à
l'américaine (vidéo ci-contre) et une
démonstration d'unité de
Cinq ans plus tard, au tour des ténors de l’UMP
d'être assommés. Dimanche soir, ils ne se sont
pas précipités pour réagir dans les médias. C'est
Marine Le Pen qui tenait l'antenne pour dénoncer
un «pâle mime de François Mitterrand».
Mais
difficile d'être en campagne sans candidat.
Surtout quand ledit candidat offre en Guyane
l'image d'un président à la dérive. Naviguant
lentement dans une pirogue avec Claude Guéant.
Présentant ses voeux à 1 500 personnes à
Cayenne pendant que son adversaire socialiste
déroulait ses propositions devant plus de 15 000
Sarkozy a-t-il déjà perdu? http://www.mediapart.fr/print/170704
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personnes.
Nicolas Sarkozy a moqué – devant ses proches – le
«manque d'idées» de son rival et ses
revirements programmatiques.
«Nous en sommes à la cinquième relance de sa candidature»,a-t-il ironisé. Oubliant que la sienne, malgré son marathon des voeux et 23 discours en
janvier, ne décolle pas. Son ennemi Villepin se frotte les mains :
«Nicolas Sarkozy attend deremonter dans les sondages pour se déclarer. Le problème, c’est qu’il risque de ne jamais
remonter.»
Alors l'UMP panique.Il est un indicateur qui ne trompe pas : l'épanchement de fidèles députés dans
Le Figaro. «Ilfaut que Sarkozy se lance. Il faut qu'il annonce sa candidature dans les quinze premiers jours
de février. Il faut y aller ! Les gens ont l'impression que tous les candidats battent la
campagne, sauf lui»
, s'agace le député Damien Meslot, proche de Xavier Bertrand. JacquesDomergue, député de l'Hérault :
«Le président agit sur tous les fronts mais les sondages nedécollent pas. La méfiance des Français à son endroit perdure. L'entrée en campagne pourra
peut-être susciter un électrochoc...»
«Si j'échoue, il faut en tirer les conséquences»
Autre baromètre, les interventions de pointures
de l'UMP dans les matinales, lundi. Sur France
Inter, le conseiller spécial de Sarkozy, Henri
Guaino, est apparu presque résigné :
«On
n'est pas beaucoup aidé dans les médias, mais
tant pis on va essayer de se battre quand
même dans une hostilité générale.»
Alors que ministres et dirigeants de l'UMP
répètent depuis des mois que François
Hollande n'a
«pas la carrure» , lui admet :
«Il a
fait la preuve qu’il pouvait être candidat, qu’il
avait la stature, qu’il était prêt au combat.» «Je
ne le sous-estime pas, il a des qualités, il est tenace, il a de l’expérience, en tout cas
politique»
, dit-il encore plus tard, tout en affirmant que le socialiste n'est pas
«un président
de la République»
.
Pendant ce temps-là, sur France Info, Bruno Le Maire, chargé du projet présidentiel à l'UMP,
reconnaissait des
«échecs» dans le quinquennat, confirmant ce qu'il avait dit à
Libération
(vidéo ici)
. Sur RTL, Jean-François Copé peinait à aligner les arguments :
«Hollande, c'est le
père Noël toute l'année»
, «sur tous les registres, il nous fait le cadeau de Noël»
.
En panne d'idées, le parti présidentiel tente d'utiliser les mêmes techniques qu'en 2007.
Fustiger
«l'héritier d’une gauche soixante-huitarde». Prétendre incarner
«le parti des idées
nouvelles»
face à un «parti des idées datées». Dénoncer «le candidat du système»
et
présenter Sarkozy comme le
«challenger» (dixit Brice Hortefeux au Figaro
, en octobre) qui
peut réaliser la
«vraie rupture» (Henri Guaino). Appliquer la tactique de la
«triangulation»
(qui consiste à piquer au camp adverse certaines idées pour l'asphyxier), par exemple sur la
taxe Tobin ou le projet d'union civile pour les homosexuels. Construire sa France virtuelle
dans un vaste storytelling imaginé par l'Elysée.
Mais comment Nicolas Sarkozy pourrait-il, après cinq ans à l'Elysée et 17 ans de droite au
pouvoir, rejouer la
«rupture»
de 2007 ? Le président est rattrapé par la réalité, d'abord
économique (lire notre analyse). Il n'échappera pas à l'examen de son bilan. Et cela a déjà
commencé. Sa promesse de réduire le chômage à 5 % est remontée à la surface dans cette
vidéo virale (ci-contre).
«Si j'échoue, je le dis aux Français, il faut en tirer les conséquences»
avait-il promis en 2007. Aujourd'hui, le
chômage atteint 9,3 %. Et les rapports de
l'Insee, comme celui du 30 août, dressent un
constat limpide : les riches sont de plus en
plus nombreux et de plus en plus riches, les
pauvres de plus en plus nombreux et de plus
en plus pauvres.
Lorsque Hollande promet de s'attaquer au
«monde de la finance»
, comment l'UMP
pourrait-elle être crédible en répliquant que le
président a entrepris une
«réforme du
capitalisme financier» «incontestable»
?
Evoquée dans son discours d'Agen en 2006 et promise dans son discours de Toulon en
2008 (puis son remake en 2011), cette
«moralisation du capitalisme»n'a été qu'un
ressassement de mesures qu'il n'a pas menées à leur terme
Sur France Inter, Henri Guaino semblait embarrassé :
«Les bonus sont encadrés, pas assez,
j’en conviens, mais nous n’allons pas changer le monde à nous tous seuls»
;«Qu’il faille aller
plus loin encore dans les exigences qu’on a vis-à-vis des places financières, c’est vrai»
.«Il
n’y a pas de raison d’être satisfait ni auto-satisfait, la crise, elle est là. Qui pouvait penser
qu’on allait en escamoter les conséquences ?»
, a dit le conseiller élyséen.
Autre exemple, le logement. Les promesses de François Hollande dimanche ont rappelé que
Nicolas Sarkozy n'a pas tenu les siennes.
«Depuis des années, on vous dit qu’on ne peut rien
contre la crise du logement, et on laisse s’aggraver une pénurie qui a rendu la propriété
impossible pour beaucoup d’entre vous et la location de plus en plus difficile. Cette situation
ne peut pas durer»
, avait écrit le candidat UMP dans son projet de 2007.«Il a traité la
question des logements, il a construit. (...) Mais ça ne se résout pas du jour au lendemain. Il
faut du temps»
, a répondu Bruno Le Maire.
Les fondamentaux du sarkozysme se sont effondrés
«Sarkozy peut-il être réélu ?»
, s'interrogeait en décembre, Gérard Grunberg, directeur de
recherche au CNRS. Ce spécialiste de la sociologie électorale détaillait les trois
«handicaps»
du Président :
«l’exercice du pouvoir en temps de crise économique»,«la déception des
électeurs»
par rapport aux «réels espoirs» suscités (notamment en matière de pouvoir
d'achat et d'emploi), et sa
«personne même» (il«n’a pas incarné la présidence de la
République de la manière que souhaitaient les Français»
). Pour le chercheur,«le président
sortant sera pénalisé pour ne pas avoir tenu ses promesses»
. A cela s'ajoute, selon lui,
l'
«isolement dangereux de son parti», qui ne pourra pas compter sur des reports de voix
massifs du MoDem et surtout du FN.
Si le chef de l'Etat aura du mal à l'emporter, c'est aussi parce qu'il ne reste plus
grand-chose des trois ingrédients de sa victoire de 2007. Son équipe, d'abord. La majorité de
2012 est bien loin du grand parti unique de 2007. Nicolas Sarkozy a perdu une partie de son
cabinet de 2007 et notamment sa «boîte à idées», Emmanuelle Mignon. La
«firme»
– surnom de sa garde rapprochée – a volé en éclats. Parmi les cinq Sarkoboys
historiques (son lieutenant Brice Hortefeux, son conseiller Pierre Charon, son porte-flingue
Frédéric Lefebvre, son Monsieur communication Franck Louvrier, et son directeur de
campagne adjoint, Laurent Solly), seul Louvrier est encore au coeur du dispositif. Lefebvre
est devenu secrétaire d'Etat, Solly est parti à TF1, Charon a été écarté. Même Brice
Hortefeux, l'ami de 34 ans, a rejoint la longue cohorte des sarkozystes qui ont dû quitter le
gouvernement : Roger Karoutchi, Yves Jégo, Alain Joyandet, Christian Estrosi, Patrick
Devedjian. L’affaire Takieddine l’a remisé dans l'arrière-boutique.Et puis il y a ces fidèles négligés, écartés, ou malmenés, qui sont entrés en dissidence :
Rama Yade, Rachida Dati, Jean-Louis Borloo, Patrick Devedjian. Quant aux quadras de
l'UMP, les François Baroin, Luc Chatel, Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire, Valérie
Pécresse, Laurent Wauquiez, ils misent surtout sur 2017.
La bataille des idées ensuite. Entre 2004 et 2007, Nicolas Sarkozy avait mis sur pied une
véritable fabrique à idées pour bâtir son
projet pour la France d'après» sous la houlette de la directrice des études de l'UMP, Emmanuelle Mignon. Au sommet de la pyramide, unequinzaine de ses proches synthétisaient les 200 propositions en 30 mesures phare. Le toutpiloté par François Fillon. Cinq ans après, la besace à idées est vide (lire notre décryptage
du projet UMP). Aucun thème de campagne n’a émergé. Il n'y a pas de successeur désigné
à Emmanuelle Mignon. Et Fillon a été réduit par Sarkozy à un simple
«collaborateur»
transparent à Matignon.
«machine à gagner»
dont rêvait la droite. En 2012, le mouvement est en miettes, malgré les tentatives pour
contenir à l'intérieur les différentes chapelles. Le bulldozer UMP est sclérosé, les fédérations
endormies et le nombre de militants a fondu (obligeant l'UMP à
«maquiller»l'hémorragie).
Les démarches de Jean-Louis Borloo, d'Hervé Morin et de Dominique de Villepin, même si
elles n’aboutissent pas, ont montré que Nicolas Sarkozy ne pouvait plus incarner à lui seul
tout le spectre politique de la droite et du centre.
A ce versant politique s'ajoute un versant judiciaire. Le chef de l'Etat est cerné par l'affaire
Karachi/Takieddine et plusieurs de ses proches font face à des démêlés avec la justice. Quel
président a connu une telle combinaison de facteurs politiques négatifs et de dangers
judiciaires ?
Il reste 90 jours au président-candidat pour susciter l'engouement. Un défi face auquel
Giscard d'Estaing (en 1981) et Balladur (en 1995) ont échoué. Le chef de l'Etat lui-même le
reconnaissait, le 27 octobre, lors de son intervention télévisée :
«Tous les candidats du
système, y compris lorsque je les ai soutenus, ont été battus. Tous.»
http://www.mediapart.fr/journal/france/230112/sarkozy-t-il-deja-perdu